Permis de jouer
Il est des matches que l’on attend plus que d’autres. Ceux qui suivent le prolongement d’un hiver hivernal, une boule de neige à la place d’un ballon, un arrêté municipal pour dégel à la place d’une belle pelouse anglaise chez Carpentier.
Ces matchs-là, personne ne veut les louper. 6 semaines sans rugby, ça vous lasse un homme tant et si bien que votre moitié vous laisse allégrement vous ébrouer et passer vos nerfs sur autre chose que sur elle. Ça tombe bien, il y a les Digoinais de passage à Paris. Quand d’autres prennent du gras pendant les agapes du changement décennal, les Bourguignons paraissaient bien fluets à la tombée du bus. 31 au compteur, ça ne vous fait pas deux équipes tout ça. Le 31ème accessoirement juge de paix et de touche pour 160 minutes priait pour qu’un de ces camarades ne feigne pas la blessure. Il était venu en baskets et propre comme un communiant
De son côté le Massif a la bave aux lèvres. A. Streissel fume sa 27ème clope de la journée. Le meneur de la meute, Guillaume Passelard, dans les vestiaires, prépare son bandeau comme pour un rite sacrificiel. Je tire l’élasto, je l’étire, je l’appose, je le presse, je le colle. En bon maitre shaolin, il a su manoeuvrer et envoyer pour quelques temps son disciple Kevin Rebay au temple de la rédemption, là où l’on apprend les vertus du capitanat : « à King-kong » (Honk-kong mais c’est une blague du capitaine donc passant ! rigole à la blague du capitaine si tu ne veux pas te retrouver au banquet des anciens).
Les crampons de Miguel sont énervés quand ils rentrent de l’échauffement. Ils grincent. Ça sent la mitraille. « Moi vous commencez à me casser les couilles les gros. On répète les touches, chacun y va de sa petite phrase, de son conseil. Vous ne les connaissez même pas les touches. Y en pas eu une de bonnes ».
Etc Etc. Miguel en appelle pêle-mêle à la révolte, à St Claude, au physique, aux agneaux (puisque tout avant enrubanné, puant l’algipan et réuni dans une douche pour une motivations est un agneau), aux emmerdements, à St Claude encore. Les avants tentaient de suivre. Rémi sous son casque s’interrogeait. Car casque plus accent landais = phrases à trous pour la Polka. Alors les avants laissèrent passer l’orage. Et se dirent qu’il fallait peut-être un jour se donner les moyens d’y arriver. Un seul n’écoutait pas : Loïc Hagard enfermé dans les chiottes pour mieux se concentrer….
En B il n’y eut pas de match. Quasi littéralement puisque à la mi-temps la cause était entendue. Faute de soldats, Digoin se couchait. 14-3 pour le Massif après 40 minutes de reprise, c’est à dire de chapelets d’en-avants, de 3 contre 1 bouffés, de relances du bout du périph’. Le Massif allait surement remettre l’église au milieu du village mais l’impétrant référé leur coupa la chique en plein élan.
La une rentre sur le pré, Passelard fit sa roulade de capitaine. Paul avait rasé « le moustache », Dossin pensait déjà à son taux de réussite, Hagard à la pâleur toute auvergnate souffrait d’aigreurs dès les premiers appuis. Trop de concentration semble-t-il.
Nous ferons fi des 20 premières minutes où Digoin résista avec une défense en place et agressive. L’essai de N. Raymond sur une poussée collective puis celui en contre de J. Bourgeon tuèrent les minces espoirs des visiteurs. 14-3 à la mi-temps. Mais le Massif ne serait pas le Massif sans un coupable relâchement. Un quart d’heure d’approximations éclairé par un rush de la Bourge, le flanker désormais flanké d’un « A » au cul vrombissait de plaisir en prenant la déviation extérieure. Il aplatissait en coin, Carpentier était debout, Erwan était saoul. Jérôme Bourgeon se releva, brandit les deux bras au ciel : « C’est pour toi permis B ! ». Le reste ne mérite pas vraiment d’être conté. Juju Leblanc pour sa première cap fit parler le crochet intérieur pour un 4ème essai. 29-6. Pierre Falcone pouvait skier tranquille, le Massif avait fait le métier. Olivier Daurat parla de qualif’. Clément Dossin sortit son petit calpin : « alors aujourd’hui j’ai fait combien : 4 sur 7 ? C’est ça ? Donc ça fait depuis le début de saison, attend, bon celle-ci à St Appolinaire je vais l’oublier, puis celle du début de saison, hop on la rature, ils s’en souviendront pas. Ils sont tellement cons au massif ». Il relève la tête : « Hey les gars je suis encore à 20 sur 29, c’est pas mal non ? »
Un dimanche à la Drucker où tout se finit dans un applaudissement. Un dimanche comme les autres. Un peu plus tard, dans la nuit jaunie par les lueurs du 13ème, un homme rentre. Serein et heureux. Il s’enfonce dans la bouche de métro, achète un ticket à 1,40 euros. Son sac pue le rugby, il a encore de la boue dans les cheveux. Le devoir accompli, il s’assied. Jérôme Bourgeon a son permis. A Paris… . Il est 20h44. « Prochain train dans 6 minutes ». Il sourit. Et savoure.
Luc Folliet