Nuits d’ivresse
Dimanche matin, 11h31 sur un parking lambda d’une zone industrielle lambda de Beaune… « Hé, hé.. Sen déconner. Qu’ez vous allez foutre à Beaune ? Y a rin à voir à Beaune. T’qu’à visiter l’usine de transpalette aussi ? »
Blase en avant, tête relevée, Miguel parle. Plutôt se déchiffre. A sa droite, le chancelant Jérôme Begards, yeux exorbités et fixes. Quelques minutes plus tôt, Melissa, sa pacsée, s’horrifia dans les couloirs du B et B 2 de Beaune Sud.
- « Il est où Jérome ? »
- « Il est en bas mais il a pas dormi », répond une voix éraillée
- « Il a pas dormi ? Oh Nonnnn ! »
Il est 11h32 en ce dimanche matin. Damien Aussour pue l’alcool et de la gueule. Nicolas Raymond le Red Bull. Juju Leblanc cherche ses chaussures après avoir dormi dans l’escalier. Tous ont le sourire.
Comme toute bonne histoire, celle-ci débute par quelques bégaiements. 10h 58 la veille. Gare de Lyon : le train pour Beaune n’est pas inscrit sur le tableau. « ça commence bien». Nakache le GO des fleurs Bleues et du kop, vaillants supporters du Massif, avait tout prévu. Sauf le coup retors des copains syndiqués d’Avignon. Cucu a déjà sorti le Morgon. Fred Delpy parle de son Aviron. Les week-ends passent et se ressemblent, la gare de Lyon ce samedi en guise de club House de Carpentier.
« Putain, vivement que je quitte cette ville de merde ». Le bus des joueurs ronronne devant Carpentier et est déjà en retard. Comme d’hab. Cette fois ci c’est le coach, Pierre Falcone qui court après le temps. Les rangs sont dégarnis comme un crâne d’Oloronais. On joue le soir. C’est la fin de saison et son lot de démotivation. Et puis Damien et Chonchon ont préféré aller regarder Texas Rangers chez Bijou. Chips à l’appui.
Le wagon-bar du TGV pour Lausanne gîte. Philippe Piel vient de changer de siège. Les Fleurs bleues ne sont pas égarées, elles ont investi le premier train venu en direction de la Bourgogne et chassé du bar toute personne ne supportant pas l’odeur de cochonnaille. Régis a pris trop de photos et il n’y a déjà plus de vin. Ça tombe bien, ils descendent pour en acheter. Alors ils descendent des bières en attendant la curée. Delpy s’est ainsi transformé en Delpoche. A ses côtés Olivier Pourtau lâche un prophétique « Putain je sens que je vais être con ce week-end… » Rires gras entre deux tranches de sauce.
- « Eh, t’as vu Damien ? » s’exclame Chonchon en laissant tomber télé 7 jours sur sa table basse.
- « Quoi ? »
- « Et ben on est samedi. Y a pas Texas Rangers le samedi. C’est dimanche Texas rangers. »
- « Merde. Bon ben appelle Bijou. Dis lui qu’on ne peut pas venir. Dimanche on est avec les juniors. »
- « OK. On emmènera quand même les chips… »
Pauvre Régis. Non pas Régis le photographe. Régis le Régisseur. Au domaine René Leclerc à Gevrey-Chambertin. Il avait mis son beau pull rose pour accueillir les fleurs bleues. A la tombée du taxi, Olivier Pourtau se jette sur lui : « t’es qui toi avec le pull rose ? ». Bobby est en roue libre depuis plusieurs heures et aligne connerie sur connerie. Yann Leblay déguingande ses compas. Mauvais signe. Quand il avait des crampons au pied, ça voulait dire qu’il partait prendre un jaune. Cyril Nakache, expert en vins rares prend dans ses mains un Gevrey-Chambertin grand cru de 1978, la retourne dans tous les sens, cherche l’étiquette. Et la repose brutalement. « Heu attention, ce sont des vins fragiles » ose Régis au pull rose.
Il y avait quand même des matchs à disputer. Enfin un seul puisque de match il n’y eut en réserve. 32-0 pour Nuits et un Massif dépassé dans l’engagement. Venue en slip, la B repart les bagages bien lourds. Fin de saison prononcée depuis trop tôt pour la réserve et un sentiment de gâchis pour cette présente saison.
Le Kop et les Fleurs bleues s’installent dans les travées toutes fraiches. Nuits a la vexation durable. Cueillie à froid la semaine dernière par St Maur sur leur terrain, ils veulent rentrer du petit bois pour l’hiver avec le Massif. Mais Guillaume Passelard avait subtilement pris le vent pour lui et les Parisiens pique-niquent dans la fraiche herbe des 22 bourguignons. Une première « knaki ball » de Clément Dossin pas encore bien descendu du train de Zanzibar régla la mire pour la suite. L’adversaire, lui, use de la même arme depuis qu’il joue à l’ovale. Des Cocottes en partant de son camp, vent dans le pif, ça ne fait pas avancer le rugby tout ça. Mais Nuits s’entête. Et le Massif s’encanaille. Une mi-temps de rentre-dedans. Benoît y laisse une clavicule égarée dans la pelouse et Antoine Stressel douille, phalanges en brisure après une danse à quatre temps et quelques moulinets dérisoires. 9-3, le massif se la joue banlieue dans la campagne bourguignonne grâce à Clément Drossin. Trouvant cela trop facile, Concon décide alors d’entortiller l’intrigue en se vautrant de tout son long comme on plonge enfant dans les orties. Version sado : « Allez-y marchez moi dessus, j’aime ça ». Carton blanc. Rejoint bientôt par Jérôme Bourgeon, dynamiteur de dix, décapiteur de joueur.
Nuits fait rarement des cocottes en papier. Essai 15 secondes avant la pause. Et 40 secondes après. 15-9 Michel en jette sa casquette de coach. A ses côtés, les deux impétrants coupables se sentent tout morveux. Mais le Massif ne cède pas et guerroie chaque bout de pelouse avec la peur de prendre une rouste, celle-là même qui vous révèle les hommes. Gadiel, le dos bloqué dès l’échauffement et les épaules en bouteille de Vichy, parvient quand même à troubler l’issue d’une énième cocotte. Le ballon change de camp ainsi que la confiance, parfait allié dans ces circonstances pour se cogner à plus gros que soi. Une nouvelle pénalité pour le massif 15-12. Pierre Falcone, la voiture-balais du massif, homme à tout faire (entraineur de une et de B, joueur de B et de une) se veut commandeur de rucks. A droite puis à gauche, les zéros s’enchaînent. Les corps s’affrontent, les valides se relèvent. « Encore. A droite ! » « Allez. Zéro ». Un énième ordre. Les avants, exténués au supplice dans cette 80ème rugissante chargent, l’orgueil en avant et ballon sous le bras, font reculer un peu plus les Nuitons qui n’osent plus y mettre les doigts. L’arbitre trouve enfin une faute à siffler dans cette chaleur humaine. On compte les morts. Civière pour Loïc et un ballon posé là qui attend Clément Dossin pour un nul en forme de victoire. A une portée de pénalité. Il pose son ballon et comme dans un film tout se passe au ralenti. Le ballon prend son temps pour s’élever et flirter avec le cadre. Les drapeaux sont levés. Les fleurs bleues sont déjà sur le pré. On s’embrasse, on s’entoure. Puis on se tartine. Olivier Pourtau se crêpe le chignon avec un Nuiton, Yann Leblay joue au sémaphore dans la mêlée d’avinées qui s’en suit au sortir des vestiaires. Tout se finira autour d’une… enfin atour de plusieurs bières dans le club-house où l’on discerne allègrement l’accent bourguignon. « Oui je connais Tabaaaaarrd. C’est un saaaacrée Bringueuuuuur, Tabaaaaarrrrd ! » Le bus a déjà repris la route pour Paris oubliant quelques égarés dans la nuit de Nuits. Greg du Sans lézard a des traits à la place des yeux. On ne comprend déjà plus Miguel. Jérôme Begards commence à tituber. Tout se finira au New Kiss où Greg paye 15 euros pour dormir à côté de 200 décibels. Les fleurs bleues prennent alors le relais. Enfin ceux encore debout : Nakache a rendu les armes, Bobby n’a pas trouvé sa chambre et dort dans le couloir du B et B. Qu’importe Olivier Cuzernard représente son école: polaire dégueulasse, le cheveu plaqué sur crâne, il assure le déhanchement au rythme d’un techno commerciale. Entouré de pré pubères toutes ébaubies, Cucu danse. La danse à cucu. Il fait le nageur. Yeux fermés. Pour mieux sentir la musique. Proche de lui, Fred a le pacemaker qui se cale sur les 180 bpm de la musique et monte en tour. Téo, lui est déjà tombé du podium et s’en aller se faire recoudre le tibia à l’hôpital. Les joueurs s’éparpillent dans la boîte, la connerie à l’air. Bégards demande à ce que les Chinois paient leur coup. Personne n’a jamais compris ce qu’il voulut dire. Nico s’est fait pote avec le patron. Juju Leblanc en revanche n’est pas amis avec les videurs, en flag de pipi dans la fontaine. Il s’endormira à l’extérieur, puis ensuite dans le hall de l’hôtel avec son ami de couloir Bobby. Puis dans une chambre. Puis dans la moitié d’un quart de lit d’une autre chambrée, démuni de ses chaussures, de son portable. Gros nuit Juju. Très grosse nuit…
Dimanche matin il est 11h33. Il fait beau. Tout le monde répond présent et est content. Même les fleurs bleues. Téo narre sa visite du vignoble bourguignon de nuit. « En sortant j’ai pris un taxi pour aller au B et B à Nuits St George. Là-bas, on cherche l’hôtel et le chauffeur me dit qu’il voit vraiment pas où est le B et B à Nuits."
« Bah il est peut-être à Beaune alors. » je lui ai dit
« Ah mais il était 100 mètres en face de l’hôpital » il m'a répondu. Fais chier j’en ai eu pour 100 euros. »
Jérôme Bégards chancelle. Miguel éructe. Et dire que son dernier statut Facebook de jours précédents osait le : « finies les conneries. J’ai un exam à passer. » T’inquiètes pas Miguel, le Massif est un club d’études. Biche n’a jamais eu son bac en jouant au massif et vomito a laissé son année d’archi en jouissant pleinement des Baléares. Ah week-end bourguignon, week-end de c...
Luc Folliet