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Essai de Fix Hovasse (69e)
> VICTOIRE 20 A 17 CONTRE ST CLAUDE
A Paris (Stade G. Carpentier), Massif Central bat Saint-Claude 20 à 17 (6-10). Arbitre : M. Robin (Flandres). Spectateurs : 100 environ. Temps ensoleillé. Terrain sec.
MASSIF : 2E Hovasse (69e), Leblanc (71e) ; 2P Dossin (5e, 32e) ; 2T Dossin (69e, 71e)
FCSC : 3E Cories (15e), Belakahal (18e), Cuvillier (66e) ; 1T Mermet (66e).
Cartons jaunes : au Massif Central - Lavergne (36e) ; à Saint-Claude - Rivière (38e).
 
USOMC : Dossin, Riols, Daurat, Hovasse, Leblanc, Bickart (o), Indurain (m), Passelard ©, Bourgeon, Toque, Buxaderas, Bendelac, Lavergne, Raymond, Wrona.
Remplacants : Meudec, Cointreau, Fougere, Heritier, Agard, Dousseau, Falcon.
 
RESERVES : USOMC - ST CLAUDE : 0-48.
"Good Game"
 
Un mec chausse les crampons uniquement pour ça : connaître un lundi matin aux saveurs inconnues. Instant unique d’une carrière d’international ou en deuxième série. Un lundi matin où Cédric Soulette se réveille embrumé au côté de son copain roux Francky dans le Radisson de Londres un matin de novembre 1999. Ses phalanges lui font mal. Mais il a battu Kronfeld et ses ogres palanqués, les All blacks. Une matinée où heureux le talon de Montchanin va se coucher, la fête et la panse bien pleines après avoir boûté le Toulousain hors du bourbier de Lucien Parria. A Paris Guillaume Passelard se mire dans la glace, l’humeur légère. Il fait beau en ce 19 avril et les gens sont heureux, sourient dans le métro aérien. Jérome Bourgeon se rase la barbe qu’il n’a pas en chantonnant.
Vous vous baladez à Odéon le midol sous le bras pour la trace historique.
- « Saine lecture » vous interpelle un passant.
- - « Ah oui »
- - « Qui va être champion cette année selon toi? »
- « Bourgoin », ose-je.
Il rigole.
- « Tu a joué à Bourgoin ?
- « Non je joue au massif »
- « C’est vrai ? Oh le Massif. Qu’est ce que j’ai ramassé contre eux. Bon c’était y a quinze ans. C’étaient pas des tendres… »
- « Eh hier la une a battu St Claude , le leader de la poule »
- « St Claude, l’équipe du Jura ? Punaise sacrée performance car eux non plus ce sont pas des tendres. »
 
Paris devient village. Tout le monde semble se connaître. Vous croisez même Nicolas Mémin revenant du marché, tirant son cabas à bobo.
 
Ce pourrait être une belle histoire empesée d’une facilité intellectuelle, celle de reconnaître là-dedans « la victoire d’une bande de copains ». Le rugby, sport infiniment complexe, ne peut glisser de la sorte vers Lapalisse. Il est un tout, et surtout un précipité de détails infimes. Comme le départ en bus à 4h, ou une chiasse de prendre une branlée, une série indolente de 11 matches sans défaite, un bon bout de rencontre en Bourgogne, la suffisance d’un premier, la bonne ambiance mise par le visiteur à l’aller, et donc la méfiance de côté. Les plumes de Carpentier, un soleil retrouvé. Des cocottes achoppées, de contres rondement menés. Ce succès face à St Claude porte le sceau de l’inexplicable que seuls ces 22 joueurs peuvent ressentir. Instant impalpable où ils décident malgré les différences de s’opposer à la raison et la logique. Cela leur appartient. Parions qu’ils s’en souviendront à vie.
 
A rebours il faut toujours trouver la prime raison d’un exploit, ce petit fragment de vérité, celui-la même qui permet les enorgueillis « je l’avais bien senti » ou « c’était écrit » d’autour du comptoir… Celui-ci, pour la postérité, est tout trouvé : l’avant-veille en cercle quelques-uns, les coachs et les dirigeants s’étaient réunis pour débattre sur le devenir du club. Géraud en bon président annonça un moment d’histoire du club : un même lieu de vie et d’entraînement. Carpentier est notre désormais. Cela peut paraître si peu pour d’autres mais beaucoup pour nous. Michel sut clore la discussion sur le pourquoi du comment d’une saison toute en frustration, soulignant à propos que la présente n’avait pas encore de point final: « Je continue si les joueurs me montrent qu’ils ont envie lors des deux prochains matchs ». Sur quoi Géraud rebondit prestement : « Les gars, des matches comme celui de dimanche, ce sont les meilleurs à jouer. Parce que c’est dur, parce que c’est physique, parce que le niveau du jeu monte d’un cran. » Il n’était pas nécessaire de lire entre les lignes. Le Massif se croyait condamné, ses joueurs se donnaient la permission de croire au « pourquoi pas ? », cet infime espoir qui fait parfois les plus belles joies.
 
C’est encore en cercle que l’on retrouve dimanche les 15 centraliens. Certains n’ont pas desserré les mâchoires depuis vendredi. L’équipe se regroupe, deux joueurs émus au milieu du rond. Pour un au-revoir, c’est mieux de se sentir entourés : Julien et Clément ont pris un aller pour d’autres destinées, le billet retour dans la poche du short. On leur trouvera toujours une place dans le vestiaire du massif au cas où.
 
Le début du match n’est pas de cette boucherie promise en bande-annonce. Le leader percute mais ne dévaste pas son contradicteur. Clément Dossin passe même les premiers points avec aisance. Il faut dire que l’émotion l’avait envahi quelques instants plutôt. Géraud l’avait coincé dans le vestiaire : « Clément je voulais te dire que le comité directeur du club a décidé de retirer le numéro 10 pour la saison prochaine. On l’accrochera au toit de Carpentier. »
Alors Clément est de partout pour l’honneur fait. Les Jurassiens eux sont nulle part, la marque de l’oreiller sur la joue et pas vraiment descendus du bus. Ils en reviennent alors à ce qui fait l’histoire de leur pays au long hiver, là où on se retrouve pour la potée : le bon vieux maul pénétrant des familles. Eparpillés dans la plume de Carpentier, les hommes à la pipe se réchauffent autour de la fournée de Papa Cuvillier. Cependant la première cocotte a quelque chose de claudiquant. Cela progresse certes, mais sans luminescence. Rendant bien 15 kilos de moyenne à son vis-à-vis, le centralien oppose son envie si farouche de refuser la toise d’un plus grand que soi. Yean-Yacques, casque jeté là où le fer se bat rouge, en est l’exemple désarticulé durant l’empoignade. Si le rugby ne se joue pas parfois de façon esthétique, il n’en est pas pour autant inefficace.
St Claude remet de l’ordre dans le cottage anglais avec deux ballons portés enfin à terme. A 10-3 Le Massif, poli, aurait à l’accoutumée éteint la lumière en partant et laisser les clés de Carpentier aux convives. Mais Clément Dossin ajusta un but avant la pause, histoire de se dire dans quelques heures autour de la bière du regret cette phrase toute en suspension. « Tu vois à la mi-temps on était pas loin.… ». 10-6
Le retour au jeu semble hésiter entre les deux équipes, en chaleur, souffle court. A toi à moi, a Hu et à dia, Personne n’a la force d’enfoncer le clou. Jusqu’à la 60ème où une attaque alerte du massif s’arrête en route alors que 4 joueurs allaient se présenter face au seul arrière…
30 secondes plus tard, St Claude mordit au cou le massif en débordant à droite par un essai de leur alerte ancêtre. « Voilà comment bascule un match » soupira la plume acérée d’aujourd’hui, à qui le rugby bien sûr ne fait plus mystère.
Le dix jurassien entrant applique la double peine avec son jeu au pied de coucou. Clément en arrière garde attend un troisième puis un quatrième rebond dans ses 22, faisant fulminer la plume acérée. La défense monte en ligne, presse mais Clément lance une ultime fourberie, s’en va côté touche, résiste à un premier défenseur, puis un deuxième et évite le plus grand défenseur de tous les temps: cette ligne de touche, ambivalente ennemie, et parfois alliée de circonstance. Isolé, Clément lance son ballon derrière lui comme on jette une bouteille à la mer. Gadiel passant par là, mûr pour l’étayage, se retrouve le ballon entre les mains, et fait ce qu’il ne faut jamais faire : prendre un chemin de traverse dans un champ de rugbymen. Mais à cet instant, personne en face ne s’est donné rendez-vous par delà la relance de Clément. Gadiel redresse, percute et transmet dans sa chute à Guillaume qui se souvient de son école de rugby à Riom, ballon en cuir mouillé et élasto Jean Condom. « Je m’assois et je donne ». Richard reçoit et offre aussitôt à son tour à Manu qui n’en veut pas non plus. Il passe à Fix qui fait suivre au pied à qui de droit…. Loïc Hagard dont on n’avait pas encore remarqué la rentrée, cavale, naseau au vent, épaule contre épaule contre le perfide houblon. Le ballon se meurt dans l’en-but et dans un dernier rebond échappe aux deux brouteurs de sable. Fix, ne pouvant pas tout faire, avait pris du retard, mais dans un dernier bégaiement de la défense, voit l’ovale s’offrir à lui. Il se jette dessus à s’en péter les côtes et s’ensanglanter le blase. AND TRY !!!! L’ensoleillé Carpentier exulte. 13-17.
Le Massif vit encore. Merci pour lui. St Claude « so British » s’enfonce alors dans les errements latins du tout au large pour éviter la fureur compacte adverse : une double sautée doublement pressée, et Juju saute sur l’occasion tout autant que sur le ballon pour l’interception du chevalier Lebanc. Juju colle encore une paume à l’ultime joueur d’écueil en chasse et allonge les segments. Cours Juju, mais putain cours ! Juju a la bonté de ne pas se retourner sur le lieu de son larcin. La tribune de Carpentier descendue d’un seul bond le long de la travée porte dans un râle d’égosille notre ailier filant. La poursuite est entamée, Juju, souffle en saccade, ne veut pas lâcher pas la moindre once dans ces derniers mètres en montée. Tête en arrière, genoux alignés et ligne en vue. Cours Juju ais putain Cours !!!! Essai dans un stade braillard au possible. Cinq petites minutes en songe pour effacer tous les mauvais rebonds, les défaites au poignard des cinq dernières années. Et un 20-17 à la belle fortune.
Reste plus qu’à accomplir le véritable exploit : garder une tête d’avance. Le ballon revient prestement aux Jurassiens qui s’activent au milieu du terrain. Mais à cet instant ce sont des Trucks qui viennent concasser le moindre ruck. La violence du choc fait reculer les bleus et blancs. Leur flanker scottish tente une sortie sur la droite moins fréquentée, prend deux centraliens sur le râble, parvient à transmettre à son neuf, qui, à peine le ballon entre les doigts, disparaît sous un amas vorace comme on enterre ses illusions d’un jour: reculade jouissive d’une vingtaine de mètres pour une terre toujours à préserver. Maul après maul, St Claude s’escrime à s’approcher de la ligne mais n’y est plus vraiment. Le ballon devient l’ultime attention quand L’arbitre rend enfin leur liberté aux trente effrontés. L’instant d’après n’est que le ravissement d’adultes replongés fugacement dans l’enfance : sauts d’innocence, les yeux ronds d’étonnement, ceux de gosses heureux autour d’un ballon même pas rond. Rugueuse mêlée qui devient joyeuse et une joie plus forte que celle d’un champion car pour soulever un bouclier, il y a tout un parcours et une finale en pinacle. Ici rien de tout ça si ce n’est l’allégresse inattendue d’avoir renverser une montagne, même si ce n’est que le Jura. Juste pour le plaisir, et c’est déjà beaucoup.
 
Arrive alors Géraud, heureux qui comme un président a fait un si long voyage d’entre les tours. Toison conquise « Super les gars !!!! » Rendons grâce aux jurassiens vertueux dans la défaite, applaudissant longuement la prouesse. Le perfide Mathieu, sourire en coin et déjà content de sa connerie, s’approche de leur director of rugby. « Good game ! ». Main serrée, droit dans les yeux. Et Mathieu de donner en même temps une autre raison jubilatoire pour laquelle on joue au rugby : apposer le regard du vainqueur sur le vaincu. Qui plus est anglais.
 
Il est 21 heures... Le sol du club-house est sale des trop-pleins d’ivresse. Régis a ramené les Sanclaudiens oubliés sur la chaussée. Les corps chancellent en rythme secoués par les rires gras VRP de quelqu’un qui se reconnaitra. On commence à se dire des « je t’aime », bras dessus, bras dessous. « Franchement je t’adore comme joueur. Mais surtout comme mec. » La claque sur le torse, les yeux humides. L’un a le doigt fracturé. L’autre a une envie d’ailleurs. Certains restent quand d’autres s’en iront. Dernier regard entre chien et loup sur cette maison de joie. Nom de dieu que c’est beau un club qui gagne.
 
Luc Folliet